mardi 6 avril 2010

Dennou Coil - A circle of children (Iso Mitsuo, 2007)

Nous sommes en 2026, onze ans après l’invention des premières lunettes permettant à leur porteur de se connecter à un univers de réalité augmentée (soit la surimpression d’éléments virtuels sur la réalité). Yasako et sa petite soeur Kyoko, accompagnées de Densuke, leur chien virtuel, qui est visible lorsqu’on porte les cyber-lunettes, viennent de déménager à Daikoku, une ville qui est le centre du développement de cette nouvelle technologie. Nous allons découvrir en même temps que les deux fillettes cet univers complexe et passionnant, dont Yasako et ses amis lèveront peu à peu les mystères. Une multitude d’énigmes s’enchevêtrent les unes dans les autres, certaines, peu importantes, sont résolues rapidement, d’autres, plus complexes, nous tiennent en haleine pendant plusieurs épisodes, jusqu’à la résolution de l’énigme centrale de l’histoire.

Un des points forts de cette série, c’est l’univers dans lequel on est immergé dès le début. Tous les premiers épisodes ont un bon rythme, avec de l’action, mais, paradoxalement, prennent aussi leur temps pour poser les bases de l’histoire : la psychologie des divers personnages et l’univers virtuel de Daikoku. Cet espace virtuel émergeant est complexe, requiert une maintenance constante, et contient des zones d’ombres, même pour ceux qui l’ont créé... Certaines parties de cet espace, qui n’ont pas été mises à jour, sont obsolètes et des créatures y habitent, les illégaux, qui se révéleront bientôt être bien plus que de simples virus informatiques.

Pourtant, il ne s’agit pas d’un conflit classique homme-machine. La réalité augmentée est parfaitement intégrée dans la vie quotidienne des personnages, et, même si l’univers virtuel de Daikoku n’est pas présenté comme complètement rose (les enfants sont parfois mis en danger physiquement, et par ailleurs constatent qu’ils sont « accros » aux lunettes), il reste malgré tout humain. Les côtés les plus insaisissables de l’univers sont d’ailleurs liés à ce côté humain : les illégaux, auxquels trois épisodes entiers sont consacrés, existent sous de multiples formes et se révèlent par certains côtés être étrangement proches de nous, et l’énigme centrale, le dysfonctionnement majeur de cet univers, est justement dû à des sentiments humains mal contrôlés.

Or c’est justement les relations humaines qui sont le thème central de la série, et en particulier la distance entre les gens qui naît suite à diverses incompréhensions de part et d’autre.

Ainsi, la plupart des adultes semblent être dépassés par cet espace virtuel qui se développe hors de leur contrôle, ce qui les amène à réguler de façon très stricte et sans nuances tout ce qui s’y rapporte. Satchi, un bot et anti-virus chargé de la maintenance de l’univers virtuel de Daikoku, est symptomatique de cette attitude : il parcourt les rues de la ville, formate les espaces obsolètes et traque les objets illégaux en agissant sans discernement, détruisant non seulement les illégaux nuisibles, mais quasiment tout ce qui est virtuel, y compris les cyber-animaux de compagnie. Les parents, soucieux pour leurs enfants, leur conseillent d’oublier tout ce qui touche au monde virtuel et de se concentrer sur le monde et les sentiments réels. Mais la tristesse d’un enfant à la mort de son animal de compagnie, fût-il virtuel, n’est-elle pas un sentiment bien réel ?

Les incompréhensions ne sont pas pour autant l'unique apanage des adultes. Fumie et Daichi se connaissent depuis leur plus tendre enfance et pourtant, étant tout aussi maladroits l’un que l’autre pour comprendre les autres et se comprendre eux-mêmes, ont laissé un fossé se creuser entre eux. Isako, quand à elle, a peine à s’ouvrir aux autres et semble être indifférente à tous, dit ne pas pouvoir comprendre ce qu’est l’amitié. C’est une enfant qui a grandi trop vite : en la voyant agir, en l’entendant parler, on a de la peine à ne pas oublier qu’elle n’a que onze ans.

Au fil de l’histoire, les personnages grandissent, découvrent la valeur de l’amitié et tentent de trouver la paix, avec eux-mêmes et avec les autres. C’est Isako qui mettra en mots l’idée conductrice de la série : « Il y aura toujours une distance entre les gens, et même entre les choses qui semblent à portée de main. Et il faut parcourir une longue route, étroite et sinueuse, avant d’atteindre les cœurs. Il y a des tas d’obstacles. En fait, c’est comme les ruelles des villes d’antan. »

Cette série a, il est vrai, un certain côté enfantin de par le style de dessin (entre autre les palettes de couleurs utilisées) et à cause de certains traits caractéristiques du monde virtuel (en particulier le fait que les lunettes soient utilisées en majorité par des enfants et que pas mal d'articles virtuels ressemblent à des jouets). Mais les thèmes traités, eux, n’ont rien d’enfantin : comment réussir à accepter la mort d’un être cher ? Comment aider quelqu’un qui doit faire le deuil d’un proche ? Quelle est la réalité de nos sentiments ?

Malgré un ou deux épisodes que l’on peut juger moins intéressants que les autres, la série dans l’ensemble se révèle passionnante et variée. Certains épisodes sont émouvants, d’autres font penser à un film d’horreur, il y a pas mal de moments très drôles. Un épisode en particulier est totalement délirant : n’avez-vous jamais rêvé de dialoguer avec les poils de votre barbe, d’en devenir la déesse et de tenter de les empêcher de mener une guerre nucléaire ? Pourtant cet épisode n’est pas non plus un simple délire gratuit, le destin des illégaux-poils de barbe n’est pas sans rappeler une certaine espèce humaine manquant, elle aussi, bien souvent de sagesse...

Série en 26 épisodes, d'Iso Mitsuo (Madhouse Production), 2007

lundi 5 avril 2010

Émile Reynaud, première naissance du dessin animé

Les occasions de voir, en action, le Théâtre-optique d’Émile Reynaud sont rares. Nous ne pouvons que recommander au lecteur qui aurait manqué l'exposition "Lanterne magique et film peint" présentée à la Cinémathèque française (jusqu'à la fin mars dernier), de se rendre à la Venaria Reale de Turin où cette exposition sera présentée cet été. À Paris, une reconstitution de la merveilleuse machine fonctionnait toutes les fins de semaine. Un bel extrait de la plus fameuse bande de Reynaud, Autour d’une cabine, y était projeté à intervalles réguliers et nous supposons qu'il en sera de même à Turin...

Émile Reynaud (1844-1918) est probablement l’inventeur du dessin animé ; il en est assurément l’un des plus grands artistes. De formation scientifique, il est d’abord le créateur d’un jouet optique dérivé du zootrope : son "praxinoscope" donne l’illusion d’un mouvement répétitif. Il présente toutefois des caractéristiques intéressantes préfigurant un développement ultérieur. En effet, il permet la projection de l’image sur un écran ; d’autre-part, le système de miroirs remplaçant l’obturateur donne une image particulièrement lumineuse.
Le grand œuvre, ce fabuleux Théâtre optique breveté en 1888 et exploité commercialement au Musée Grévin de 1892 à 1900, est en quelque sorte l’adaptation d’une bande de longueur illimitée (pellicule souple) au praxinoscope à projection. Pour la première fois, l’action n’est plus limitée à la répétition d’un mouvement simple : une histoire peut être racontée par des images en mouvement. Ce n’est pas encore du cinématographe, mais c’est déjà du dessin animé… Perforation de la pellicule, accompagnement au piano avec les premières partitions composées pour un film, Reynaud est un authentique pionnier doublé – surtout – d’un artiste exigeant.
En effet, dans la tradition des peintres de lanterne magique, Reynaud dessine ses personnages image par image sur la pellicule au format 70 mm ; les décors, fixes, sont projetés depuis une plaque de verre peinte. De cette manière naissent cinq films dont le plus long avoisine le quart d’heure – cinq films seulement, car le procédé est fastidieux, et le contrat qui lie Reynaud au musée Grévin l’oblige à assurer lui-même les projections quotidiennes.
Le spectacle intitulé Pantomimes lumineuses rencontre en effet un succès immédiat ; du reste, aujourd’hui encore, les qualités du procédé (silence de fonctionnement, extraordinaire luminosité, stabilité de l’image) enthousiasment autant que la fraicheur naïve des deux seuls films qui nous sont parvenus.
Reynaud terminera pourtant sa carrière ruiné par l’irrésistible ascension du cinématographe ; il aura entre-temps tenté d’adapter la photographie à son procédé et réalisé trois films (les Photo-peintures animées, en particulier avec le duo comique Footit et Chocolat) ; parmi ses autres recherches, le perfectionnement de la chronophotographie, la stéréoscopie, et un projecteur à compensation optique qu’il ne mettra jamais au point, mais avec lequel il rêvait d’obtenir, avec le cinéma, la stabilité et la luminosité de son Théâtre optique. L’artiste oublié, en pleine dépression, détruisit ses appareils et la majeure partie de ses films, ainsi que la quasi totalité des fragiles plaques de décor. Geste irréparable, suicide artistique, qui ne nous laisse que des regrets.
Il faut revoir le Théâtre optique, cet incroyable procédé faisant naître des images à la frontière entre la vieille lanterne magique et le jeune dessin animé. Ce mode de projection unique où le projectionniste devient véritablement l’interprète du film, en jouant sur la vitesse de défilement ou en répétant certains mouvements à volonté. L’art de Reynaud conserve bien des attraits, et l’on se prend à rêver : si l’histoire avait été moins cruelle, qui sait ce qu’un tel artiste aurait pu atteindre ?

Le film « Autour d’une cabine » (1892-93) est projeté, sur une reconstitution du Théâtre Optique, dans le cadre de l’exposition « Lanterne magique et film peint » jusqu’au 28 mars 2010, à la Cinémathèque française, puis du 21 juillet au 7 novembre 2010 à la Venaria Reale, Turin (sous l'égide du Musée du cinéma de Turin). Les bandes d’origine « Autour d’une cabine » et « Pauvre Pierrot » sont présentées dans l’exposition.
Le film « Pauvre Pierrot » (1891) se trouve sur le DVD accompagnant le catalogue d’exposition « Du praxinoscope au cellulo, un demi-siècle de cinéma d’animation en France (1892-1948) » édité par le CNC (2007), ISBN 2-912573-40-8.
On trouvera d’occasion l’ouvrage de Dominique Auzel : « Émile Reynaud, et l’image s’anima », éditions Dreamland (1998), ISBN 2_910027-37-6. Outre une biographie et une filmographie, cet ouvrage comporte une réflexion intéressante sur la place de Reynaud dans l’histoire de l’image animée.
On se reportera enfin à la sélection de documents présentés sur le site de la Cinémathèque française : http://www.cinematheque.fr/zooms/reynaud/index_fr.htm