lundi 5 avril 2010

Émile Reynaud, première naissance du dessin animé

Les occasions de voir, en action, le Théâtre-optique d’Émile Reynaud sont rares. Nous ne pouvons que recommander au lecteur qui aurait manqué l'exposition "Lanterne magique et film peint" présentée à la Cinémathèque française (jusqu'à la fin mars dernier), de se rendre à la Venaria Reale de Turin où cette exposition sera présentée cet été. À Paris, une reconstitution de la merveilleuse machine fonctionnait toutes les fins de semaine. Un bel extrait de la plus fameuse bande de Reynaud, Autour d’une cabine, y était projeté à intervalles réguliers et nous supposons qu'il en sera de même à Turin...

Émile Reynaud (1844-1918) est probablement l’inventeur du dessin animé ; il en est assurément l’un des plus grands artistes. De formation scientifique, il est d’abord le créateur d’un jouet optique dérivé du zootrope : son "praxinoscope" donne l’illusion d’un mouvement répétitif. Il présente toutefois des caractéristiques intéressantes préfigurant un développement ultérieur. En effet, il permet la projection de l’image sur un écran ; d’autre-part, le système de miroirs remplaçant l’obturateur donne une image particulièrement lumineuse.
Le grand œuvre, ce fabuleux Théâtre optique breveté en 1888 et exploité commercialement au Musée Grévin de 1892 à 1900, est en quelque sorte l’adaptation d’une bande de longueur illimitée (pellicule souple) au praxinoscope à projection. Pour la première fois, l’action n’est plus limitée à la répétition d’un mouvement simple : une histoire peut être racontée par des images en mouvement. Ce n’est pas encore du cinématographe, mais c’est déjà du dessin animé… Perforation de la pellicule, accompagnement au piano avec les premières partitions composées pour un film, Reynaud est un authentique pionnier doublé – surtout – d’un artiste exigeant.
En effet, dans la tradition des peintres de lanterne magique, Reynaud dessine ses personnages image par image sur la pellicule au format 70 mm ; les décors, fixes, sont projetés depuis une plaque de verre peinte. De cette manière naissent cinq films dont le plus long avoisine le quart d’heure – cinq films seulement, car le procédé est fastidieux, et le contrat qui lie Reynaud au musée Grévin l’oblige à assurer lui-même les projections quotidiennes.
Le spectacle intitulé Pantomimes lumineuses rencontre en effet un succès immédiat ; du reste, aujourd’hui encore, les qualités du procédé (silence de fonctionnement, extraordinaire luminosité, stabilité de l’image) enthousiasment autant que la fraicheur naïve des deux seuls films qui nous sont parvenus.
Reynaud terminera pourtant sa carrière ruiné par l’irrésistible ascension du cinématographe ; il aura entre-temps tenté d’adapter la photographie à son procédé et réalisé trois films (les Photo-peintures animées, en particulier avec le duo comique Footit et Chocolat) ; parmi ses autres recherches, le perfectionnement de la chronophotographie, la stéréoscopie, et un projecteur à compensation optique qu’il ne mettra jamais au point, mais avec lequel il rêvait d’obtenir, avec le cinéma, la stabilité et la luminosité de son Théâtre optique. L’artiste oublié, en pleine dépression, détruisit ses appareils et la majeure partie de ses films, ainsi que la quasi totalité des fragiles plaques de décor. Geste irréparable, suicide artistique, qui ne nous laisse que des regrets.
Il faut revoir le Théâtre optique, cet incroyable procédé faisant naître des images à la frontière entre la vieille lanterne magique et le jeune dessin animé. Ce mode de projection unique où le projectionniste devient véritablement l’interprète du film, en jouant sur la vitesse de défilement ou en répétant certains mouvements à volonté. L’art de Reynaud conserve bien des attraits, et l’on se prend à rêver : si l’histoire avait été moins cruelle, qui sait ce qu’un tel artiste aurait pu atteindre ?

Le film « Autour d’une cabine » (1892-93) est projeté, sur une reconstitution du Théâtre Optique, dans le cadre de l’exposition « Lanterne magique et film peint » jusqu’au 28 mars 2010, à la Cinémathèque française, puis du 21 juillet au 7 novembre 2010 à la Venaria Reale, Turin (sous l'égide du Musée du cinéma de Turin). Les bandes d’origine « Autour d’une cabine » et « Pauvre Pierrot » sont présentées dans l’exposition.
Le film « Pauvre Pierrot » (1891) se trouve sur le DVD accompagnant le catalogue d’exposition « Du praxinoscope au cellulo, un demi-siècle de cinéma d’animation en France (1892-1948) » édité par le CNC (2007), ISBN 2-912573-40-8.
On trouvera d’occasion l’ouvrage de Dominique Auzel : « Émile Reynaud, et l’image s’anima », éditions Dreamland (1998), ISBN 2_910027-37-6. Outre une biographie et une filmographie, cet ouvrage comporte une réflexion intéressante sur la place de Reynaud dans l’histoire de l’image animée.
On se reportera enfin à la sélection de documents présentés sur le site de la Cinémathèque française : http://www.cinematheque.fr/zooms/reynaud/index_fr.htm

2 commentaires:

  1. Bonjour ! très bel article sur Émile Reynaud et l'expo de la Cinémathèque française !
    Je voudrais juste ajouter quelques infos : le film Autour d'une cabine était projeté dans son intégralité (bande originale dans une vitrine et reconstitution de Julien Pappé projetée au public). Au début du parcours était exposé un extrait de la copie de Pauvre Pierrot ; dans le DVD on trouve l'intégralité du film (copie 35 mm de Julien Pappé). A la fin de sa vie, Émile Reynaud casse son Théâtre optique pour le vendre au poids du cuivre... pour manger. Enfin, pour plus d'infos sur les inventions et la vie d'Émile Reynaud : www.emilereynaud.fr ! Bien à vous, Sylvie Saerens, arrière-petite-fille d'Émile

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  2. Toutes mes excuses, c'est à partir de durées différentes lues dans une des sources consultées (je ne sais plus laquelle) que j'ai supposé que les films n'étaient que fragmentaires. Erreur que je m'empresse de corriger.
    À l'expo, j'ai eu l'occasion de discuter brièvement avec une des personnes qui présentait les films, la responsable du site internet si ma mémoire est bonne.
    Merci de vos encouragements et de votre indulgence pour d'apprentis-critiques prenant un malin plaisir à "exercer" en amateur !

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